Iran : les modérés mis au défi dans une élection cruciale

L’avenir de l’Iran se dessinera vendredi à l’issue d’un double scrutin où s’affronteront conservateurs et modérés pour renouveler le Parlement et l’Assemblée des experts, qui choisira le prochain Guide suprême de la république islamique.

L’avenir de l’Iran se dessinera vendredi à l’issue d’un double scrutin où s’affronteront conservateurs et modérés pour renouveler le Parlement et l’Assemblée des experts, qui choisira le prochain Guide suprême de la république islamique.

Les alliés du président Hassan Rohani, portés par l’espoir d’une amélioration du niveau de vie après la levée des sanctions internationales à la suite de l’accord conclu avec les pays occidentaux en juillet 2015, espèrent gagner de l’influence.

La tâche s’annonce ardue, entre la censure des conservateurs qui ont bloqué un certain nombre de candidatures réformistes et la désillusion d’une partie de la population qui constate un enlisement des réformes promises par le pragmatique Rohani.

D’autant que la perspective de l’ouverture du pays, et la popularité du président, inquiètent les alliés du Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, et ont intensifié la lutte que se mènent les différents courants au sein des structures complexes du pouvoir iranien.

Ainsi, le Conseil des gardiens, composé de douze juristes et religieux, chargé d’entériner les candidatures, a opposé son veto à des milliers de réformistes qui souhaitaient se présenter au Parlement.

Au total, quelque 6.300 personnes ont été autorisés à se présenter pour les 290 sièges à pourvoir au Parlement alors que près de 12.000 candidats avaient souhaité s’inscrire, selon un responsable du ministère de l’Intérieur cité par l’agence Fars.

Ce conseil a aussi empêché 80% des candidats à briguer un siège à l’Assemblée des experts, corps constitué de 88 religieux dont la tâche sera de désigner le successeur d’Ali Khamenei, en cas de décès ou de départ de celui-ci. Le Guide suprême est âgé de 76 ans. Désignés pour huit ans, les experts seront en place jusqu’en 2024.

Ali Khamenei soutient le strict contrôle des candidats mené par le Conseil des gardiens, et a plusieurs fois accusé les ennemis de l’Iran d’utiliser les élections pour « infiltrer » les structures du pouvoir.

Une succession longtemps taboue

« Je ne me lasserai jamais de dire la vérité, encore et encore (…) L’ennemi poursuit son infiltration dans les élections. Il faut en être conscient et agir contre les plans de l’ennemi », a-t-il dit voici une semaine.

« L’élection de l’Assemblée des experts est très importante (…) Elle sélectionnera le Guide suprême quand cela sera nécessaire (…) C’est pourquoi l’ennemi est très sensible à cette Assemblée », a dit Khamenei.

Mercredi, il a exprimé l’espoir de voir élire un parlement prêt à résister aux ingérences de puissances étrangères comme les Etats-Unis.

« La nation élira un parlement qui placera en tête la dignité et l’indépendance de l’Iran, et tiendra tête aux puissances étrangères, qui n’ont plus d’influence sur l’Iran », a écrit le guide suprême sur son site internet.

La question de sa succession, longtemps taboue, est entrée dans le débat public à l’approche des élections.

« Khamenei a 76 ans et connaît des problèmes de santé. Le vote de l’Assemblée des experts marquera le futur de l’Iran, car la prochaine Assemblée aura la tâche de désigner le prochain guide », explique un analyste de Téhéran qui a requis l’anonymat.

Seuls 166 des 801 candidats enregistrés ont été autorisés à concourir pour l’élection de cette nouvelle assemblée.

Parmi les candidats disqualifiés figure Hassan Khomeini, petit-fils de l’ayatollah Ruhollah Khomeini, chef de la révolution de 1979 et prédécesseur d’Ali Khamenei, qui lui a succédé à sa mort en 1989.

Le Guide suprême exerce une influence considérable sur tous les domaines du pouvoir — exécutif, législatif, judiciaire. Son autorité s’étend aussi à l’armée et aux médias du pays.

« Avec plus de modérés siégeant à l’Assemblée, l’Iran pourrait se doter d’un leader moins conservateur après Khamenei, ou même d’un conseil de direction modéré pour diriger le pays », estime l’analyste qui a souhaité rester anonyme.

L’ex-président Akbar Hachémi Rafsandjani a dit en décembre que l’Assemblée des experts pourrait choisir de désigner un « conseil de dirigeants si nécessaire », plutôt qu’un guide unique à vie, ce qui a suscité la colère des conservateurs.

La Constitution iranienne prévoit déjà la création d’un « Conseil de direction » de transition lorsqu’aucun chef suprême n’est encore désigné, mais l’idée d’un conseil permanent est nouvelle.

Concrétiser les promesses

La bataille entre conservateurs et modérés pour le Parlement ne devrait pas avoir de conséquence majeure sur la politique étrangère du pays. En revanche, l’issue du vote aura une influence sur l’élection présidentielle prévue l’an prochain.

Un Parlement allié de Rohani pourrait permettre aux réformes d’avancer dans l’année qui vient, et d’ouvrir le pays aux investissements étrangers. Le gouvernement aurait alors plus de chances de concrétiser les promesses de liberté faites en 2013 par le président pendant sa campagne électorale.

« Un majlis (Parlement) dominé par les modérés ne s’opposera pas aux réformes promises par Rohani comme le fait le Parlement actuel. L’harmonie entre exécutif et législatif aidera les responsables à mieux servir le peuple » a déclaré un haut responsable iranien.

Mais de nombreux électeurs, surtout les jeunes et les femmes, ont été déçus par Rohani. Ils avaient espéré en 2013 des changements dans la société et une plus grande liberté et pourraient hésiter à soutenir les candidats du président au Parlement.

Selon les défenseurs des droits de l’homme, quasiment aucun progrès n’a été fait dans le domaine des libertés politiques et culturelles.

Du côté des conservateurs, Khamenei cherche à garder la main-mise sur le Parlement. « Perdre le contrôle du Parlement serait un coup dur pour les conservateurs, il ne leur resterait plus que le contrôle de l’appareil judiciaire, parmi les trois branches du pouvoir iranien », commente le politologue Hamid Farahvashian.

Le pouvoir judiciaire, dont le chef est nommé par Khamenei, a renforcé son contrôle sur les défenseurs des libertés et sur les médias ces derniers mois, montrant les limites de l’ouverture voulue par les partisans modérés du président Rohani.

REUTERS