A l’occasion d’un déjeuner organisé en l’honneur des lauréats du Prix Nobel de la Paix à Sidi Bou Saïd, la ministre tunisienne du Tourisme, Selma Elloumi Rekik, s’est confiée à Paris Match. Si elle reconnaît que son pays est confronté à des difficultés, notamment liées au terrorisme, elle reste confiante pour l’avenir, et détaille les mesures prises pour la sécurité et pour aider le secteur du tourisme à remonter la pente.

Mercredi, veille de la remise du Prix Nobel de la Paix au quartet tunisien pour son modèle de transition démocratique, un déjeuner était organisé en l’honneur des lauréats à Sidi Bou Saïd, petit village idyllique imprégné de l’architecture andalouse, et perché sur une colline, à une vingtaine de kilomètres de Tunis. Rendez-vous était donné au restaurant «Le Pirate», avec aux fourneaux le chef français Guy Martin, propriétaire du Grand Véfour (deux étoiles au guide Michelin). L’occasion pour la ministre tunisienne du Tourisme, Salma Elloumi Rekik, de faire un état des lieux du secteur suite aux trois attentats* subis par le pays cette année, d’évoquer les mesures prises pour endiguer les pertes et donner aux touristes l’envie de revenir.

«C’est le néant, c’est catastrophique. Les hôtels sont désertés, le secteur de l’artisanat est vraiment anéanti et tous les secteurs annexes au tourisme souffrent énormément», déclarait il y a quelques jours Wided Bouchamaoui, présidente de l’Utica, la principale organisation patronale du pays, sur Europe 1. Salma Elloumi Rekik est moins alarmiste. Tout en reconnaissant avoir été «durement affecté» par les attaques -bien qu’il y ait eu une «reprise» après le Bardo- elle regrette que certains pays aient «interdit (son) pays, ce qu’ils n’avaient pas fait après les attaques terroristes à Londres ou en Espagne». Fin juin-début juillet, la Grande-Bretagne, le Danemark, l’Irlande, ou encore la Finlande avaient en effet appelé leurs ressortissants à quitter la Tunisie si leur présence dans ce pays n’était pas nécessaire. «Je comprends ces décisions, reconaît la ministre, mais cela a durement touché notre économie et ça a un peu joué le jeu des terroristes dont l’objectif est de déstabiliser le pays, créer la panique…»

BAISSE DE 50% DU TAUX DE TOURISTES EUROPÉENS

Les chiffres sont éloquents. La Tunisie a enregistré une «baisse du nombre de touristes de l’ordre de 26%», un pourcentage qui passe à 50% lorsqu’on ne prend en compte que les Européens… Quand on sait que le tourisme représente «9% du PIB mondial», et que «sur 11 emplois créés dans le monde, un vient du secteur du tourisme», comme le note Mme Rekik, on imagine les répercussions que cette baisse peut engendrer. La ministre confirme. «Cela impacte le secteur des transports, mais aussi de l’artisanat», explique-t-elle, un secteur «qui emploie chez nous plus de 360.000 personnes, dont 80% de femmes».

«Pour régler le problème à court terme, nous avons mis en place des primes pour le personnel des institutions touristiques qui se retrouvent au chômage technique», poursuit la ministre, et «lié cette prime à une formation pour laquelle nous avons consacré un budget spécial». «Pour le moyen et long terme, nous avons élaboré, avec des experts allemands, une stratégie pour restructurer le secteur». Celle-ci comprend plusieurs axes : «la diversification du produit» (le balnéaire est un produit «saisonnier», alors que «le tourisme culturel, saharien, écologique mais aussi de montagne, commencent à se développer») ; «la formation», pour élever le niveau de qualification ; ou encore «la reclassification des hôtels, qui va être très dure et inclura la sécurité» (les établissements auront notamment l’obligation de sécuriser leur site avec un «système de surveillance de haut niveau», relié à «l’institution sécuritaire la plus proche», et doté d’«une équipe capable de gérer les crises».

DES MESURES DE SÉCURITÉ MISES EN PLACE

D’autres mesures de sécurité ont été prises avec le ministère de l’Intérieur et l’armée, qui a renforcé sa présence dans les aéroports, sur les sites touristiques et culturels, et autour des institutions internationales… Suite à l’attaque du bus de la garde présidentielle le 24 novembre, l’état d’urgence a été instauré pour la deuxième fois cette année, pour une durée de 30 jours, ainsi qu’un couvre-feu de 21 heures à 5 heures du matin à Tunis. En outre, la Tunisie a fermé temporairement la frontière avec la Libye. Salma Elloumi Rekik rappelle que «ce qui s’est passé en Tunisie s’est passé dans d’autres pays», et «espère que les personnes qui ont l’habitude de voyager prendront conscience qu’il s’agit d’un phénomène général», qu’il serait donc injuste de sanctionner particulièrement ce petit pays d’Afrique du Nord. Et de citer le président du Syndicat national des agents de voyages (SNAV) : «En France 3.000 personnes meurent dans un accident de voiture, ce n’est pas pour ça qu’on ne prend plus sa voiture. (…) C’est vrai qu’il faut faire attention mais on ne va pas se cloîtrer chez nous !»

«Je fais partie du premier gouvernement de la IIe République tunisienne, conclut celle qui était chef d’entreprise avant de se lancer dans la politique. On arrive dans une situation très difficile, où il faut relancer l’économie, régler le problème de la sécurité, de la paix sociale. Tout est compliqué mais ce qui est important c’est que notre pays est en train de réussir sa transition.» Salma Elloumi Rekik ressent «beaucoup de fierté» pour le prix Nobel de la Paix. «Car c’est un prix qui a été décerné au quartet, mais à travers eux à tout le peuple tunisien, aux femmes tunisiennes, à la société civile, à tous ceux qui ont fait que la Tunisie en soit arrivée là : nous sommes la dernière-née des démocraties dans le monde !», se félicite-elle. «Aucune société de communication n’aurait pu changer aussi bien l’image de notre pays que ce prix.» Cette récompense «a montré que le peuple tunisien était capable de changer les choses, toujours dans le dialogue, en évitant les violences». «La démocratie ne se décrète pas, elle se pratique», souligne-t-elle. Elle est certes perturbée par le terrorisme, mais «c’est la guerre de tous». La ministre reste optimiste : la Tunisie est «sur la bonne voie. On va réussir».

source : parismatch