La discrimination positive dans l’éducation : Etat des lieux et pistes de réflexion


Depuis plusieurs décennies, plusieurs économistes de l’économie régionale et urbaine ont posé principalement les deux questions suivantes : faut-il traiter toutes les populations de la même manière ? Faut-il accorder des faveurs aux citoyens par rapport à la région où ils vivent (région de l’intérieur ou du littoral, désertiques ou forestières, frontalières ou prospères, quartiers défavorisés ou résidentiels, urbaines ou rurales) ?

Face aux déséquilibres structurels et à la diversité des régions, ces économistes ont élaboré la théorie des différences qui tentent de corriger les écarts les plus importants en matière d’accès aux services publics, d’infrastructures, des ressources humaines et d’inégalité du développement.

Ces théories ont inspiré le développement des programmes de discrimination positive initiés en premier lieu aux Etats Unis d’Amérique dans les années soixante et connus sous le nom de « Affirmative Action ». Par la suite, la France s’est inspirée en 1990 de cette expérience américaine en développant des programmes de discrimination positive basés plutôt sur un critère territorial. Ces programmes ont un fondement étroitement lié au principe d’équité. Ils permettent en principe d’instituer des inégalités afin de promouvoir l’égalité.

L’expérience tunisienne montre que le système éducatif souffre d’une faible démocratisation de l’enseignement en dépit des efforts fournis (Programme d’Education Prioritaire -PEP- instauré en 2001). Les objectifs d’équité et de qualité homogène de l’enseignement ne sont pas atteints.

Les faits stylisés: les déséquilibres régionaux en matière d’éducation sont importants

L’accumulation du capital humain est le facteur majeur de la création d’un meilleur avenir des jeunes, de l’augmentation des revenus futurs, de l’insertion dans la société et de l’amélioration de la compétitivité. Les disparités entre les régions sont importantes et qui touchent les indicateurs de l’éducation suivants :

  • L’accès et participation à l’éducation (les taux net de scolarisation par tranche d’âge, l’accès à la classe préparatoire etc.)
  • L’égalité et l’équité entre les régions (nombre d’élèves par enseignant au primaire, nombre d’élèves par enseignant au collège et au lycée, le ratio enseignant par inspecteur, répartition des enseignants par ancienneté, taux de couverture en eau potable etc.)
  • La performance et la rentabilité interne (les taux d’abandon scolaire, les taux de redoublement etc.).

Ces disparités d’accès, d’équité et de performance ont entrainé des écarts en termes de résultats scolaires et de qualité de l’éducation et d’accès aux filières d’excellence ou élitistes.

Les statistiques du ministère de l’enseignement supérieur montrent que les élèves issus des gouvernorats de l’intérieur ne peuvent accéder significativement à ces universités prestigieuses que suite à une politique de discrimination positive. Seulement 36 élèves du gouvernorat de Kébili par exemple ont été orientés vers ces universités prestigieuses soit 0.6% du total dont 1 seul en pharmacie, 6 en médecine, zéro en médecine dentaire, 29 dans les écoles préparatoires et zéro à l’IHEC.

Ces inégalités de l’orientation vers ces universités prestigieuses sont la résultante de plusieurs facteurs qui ont été accumulés depuis des décennies (pédagogiques, infrastructures scolaires, transport scolaire, pauvreté, absence des cours de soutien etc.).
Les enfants des régions de l’intérieur et issus du milieu populaire réussissent moins bien que ceux d’origine des régions du littoral issus d’un milieu social favorisé. Ce résultat s’explique par le fait que ces enfants rencontrent des difficultés dès l’entrée au préscolaire puis au
primaire et au collège, se cumulant année après année pour arriver au secondaire avec moins de compétence et plus de lacunes que leurs camarades d’origine sociale favorisée.

L’expérience internationale

La discrimination positive a été mise en place aux Etats Unis d’Amérique dans les années soixante. Elle est connue sous le nom de «Affirmative Action » et instaurée à l’époque des revendications des droits civils. Elle vise plusieurs arrangements accordant un traitement préférentiel volontariste aux membres de certains groupes visibles (les afro-américains, les femmes, les hispaniques, les Indiens et les Asiatiques) faisant l’objet de pratiques racistes, sexistes et discriminatoires.

Les américains ont fixé trois domaines importants pour le traitement préférentiel à savoir l’emploi, l’admission dans les universités et la passation de marchés publics. En pratique, les administrations et les universités ont mis en place en premier lieu des quotas, exigeant une représentation minimale de ces catégories sociales. Depuis les années 90, les français se sont inspirés de cette expérience pour mettre en place une politique de traitement préférentiel. Conscients des problèmes de l’intégration des immigrés vivant en général dans des quartiers pauvres, les français ont cherché à instaurer des mesures concrètes pour limiter leurs handicaps hérités du passé.

Dans ce contexte, une première expérience a été lancé en 2003 qui vise à admettre 37 étudiants originaires des zones d’éducation prioritaire (ZEP) dans la majestueuse école des Sciences Politiques. En 1995, le Brésil a développé sa politique de discrimination positive. Une des actions est la création de bourses pour les afro-descendants pauvres dans la grande école Itamaraty (l’équivalent de l’ENA) qui forme les futurs cadres.

En 2000, le Chili adopte un programme appelé « Lycées pour Tous » pour récupérer les élèves qui abandonnent ces lycées. Ce programme prévoit le développement pédagogique, l’amélioration d’internat, le développement psychosocial, l’appui financier aux élèves et la mise en place de dispositifs qui assurent la qualité de l’éducation. Le ministère de l’éducation tunisien a instauré en 2001 un Programme d’Education Prioritaire (PEP) qui avait pour objectif de corriger l’impact des inégalités sociales et économiques sur la réussite scolaire par des actions pédagogique et éducative dans les écoles des régions et quartiers qui rencontrent les plus grandes difficultés. Cette forme de discrimination positive n’a pas atteint ces objectifs. En grande Bretagne, un système d’éducation prioritaire a été mis en place en 1998 appelé « les Education Action Zones (EAZ) ». Il est constitué de 73 zones avec deux ou trois écoles secondaires et les écoles primaires. Chaque zone bénéficie d’un financement public annuel, conditionné à l’obtention d’un sponsoring privé pour encourager le partenariat public-privé (PPP).

Les pistes de réflexion d’une stratégie de discrimination positive axée sur l’éducation
Deux axes majeurs de discrimination positive relatifs à l’éducation sont proposés. Le premier axe concerne des mesures de lutte contre l’abandon scolaire dans les écoles primaires et les collèges dans les régions en retard pour assurer la convergence. Six mesures sont proposées:

  • Généraliser l’année préscolaire dans les régions en retard. Mise à la disposition aux élèves d’un moyen de transport pour se déplacer à l’école avec un minimum de confort (distance supérieure à 2 Km).
  • Assurer un repas chaud pour maintenir les élèves à l’école des régions défavorisées par la création des cantines.
  • Assurer des cours de soutien aux élèves en difficulté.
  • Développer le système de la formation professionnelle de qualité surtout dans les régions défavorisées
  • Développer le marketing social pour l’éducation.

Le deuxième axe vise à améliorer des politiques d’éducation prioritaire du ministère de l’éducation (PEP) et à fournir de nouvelles
mesures de discrimination positive. Deux mesures sont proposées :

  • Une facilité à l’accès aux concours des classes préparatoires aux grandes écoles, à la médecine, médecine dentaire et pharmacie des bacheliers des régions issues des lycées PEP d’un traitement particulier au moment de l’admission par une majoration ou un bonus.
    Le bonus accordé pour l’accès à ces universités prestigieuses sera conditionnel au retour du futur sortant dans sa région d’origine selon un contrat d’une période de 10 ans.
  • Une facilité à l’accès au premier emploi avec un bonus accordé au premier enfant diplômé de l’enseignement supérieur de la famille issue des régions les plus défavorisées. Cette mesure permet de tenir compte des disparités territoriales d’une

Avec MAC SA
Par Ghazi Boulila