Ghazi Boulila : 2017 sera l’année de toutes les divergences des politiques monétaires

Ghazi Boulila

Selon le professeur en Sciences Economiques à l’Ecole Supérieure des Sciences Economiques et Commerciales de Tunis, Ghazi Boulila, également administrateur à la Société Tunisienne de Banque, directeur de l’Unité de recherche : Développement Financier et Innovation (DEFI), membre du bureau de l’ASECTU et de l’Association des Anciens de l’Institut de Défense Nationale (AAIDN), et président de l’Association pour la Réflexion sur le Développement Economique et Social (ARDES), l’(année est supposée être l’année de toutes les divergences des politiques monétaires.

Durant les deux prochaines années, les enjeux de la politique monétaire feront l’objet de toutes les attentions et le rôle des banques centrales restera un sujet controversé. En effet, les crises financières mondiales, la baisse de la croissance et le risque de déflation des années 2000, ont poussé les banques centrales des pays avancés à faire baisser leurs taux directeurs à un niveau proche de zéro pour essayer de relancer l’activité économique, tandis que l’inefficacité de cette politique a obligé les principales banques centrales à atténuer leurs stratégies monétaires avec des mesures anticonformistes, telles que des achats d’actions à grande échelle dans le cadre de programmes d’assouplissement quantitatif.

A partir de 2015, les Etats-Unis ont commencé toutefois d’émerger de la crise, et ce en démarrant la croissance et en augmentant l’inflation. Cette conjoncture positive a poussé le FED à retourner vers la politique monétaire conventionnelle en augmentant de nouveau son instrument le taux directeur au dessus de zéro pour éviter une surchauffe et la formation d’une nouvelle bulle spéculative. En conséquence, la crise dans les autres pays persiste pour quelques années et les banques centrales sont condamnées à maintenir la même politique monétaire non conventionnelle et des taux directeurs proches de zéro. Dans ce contexte contrasté, on assistera à une divergence des politiques monétaires durant les années à venir qui impactera le reste de l’économie mondiale surtout les pays émergents.

L’impact du renforcement monétaire de la FED sur les autres pays en2017.
Toutes les principales banques centrales ont revu leurs politiques monétaires en 2016 sauf la FED et la banque du Canada. Certaines ont diminué leurs taux directeurs tandis que d’autres ont gonfle leurs bilans. Cette divergence de politique monétaire aura des implications économiques sur toutes les économies et essentiellement sur les pays en développement endettés en dollars.

Le cas des pays émergents
La plupart des pays émergents ont tiré profit des politiques monétaires non conventionnelles et des taux d’intérêt faibles des pays avancés pour financer leurs économies et attirer les investisseurs étrangers, mais récemment que les taux remontent, la plupart d’entre eux craignent des sorties des capitaux importants. Cette hausse rend les placements plus intéressants aux Etats-Unis. En général, les pays émergents sont contraints de relever leurs taux pour maintenir une certaine stabilité de leur monnaie et limiter le risque d’accentuer ces sorties de capitaux. Toutefois, comme la plupart d’entre eux est dans une situation de ralentissement économique et de récession comme le montre l’output gap, il faudrait plutôt faire l’inverse et faire baisser les taux pour favoriser la reprise de la croissance.

Les pays Arabe du Golfe (l’Arabie saoudite, le Koweït et Bahreïn), dont la monnaie est totalement alignée sur le dollar américain ont relevé leur taux pour éviter un affaiblissement de leur monnaie dans une situation où le baril de pétrole est à son bas prix, ce qui les priveraient à leur tour d’un outil monétaire pour relancer la croissance. En outre, l’appréciation du dollar qui provient à la fois de la hausse des taux américains et de la fuite des capitaux des pays émergents vers le marché américain risquent de réduire la croissance mondiale, d’accroitre les déficits budgétaires (hausse du prix des hydrocarbures en dollars) et d’accroitre le coût de la dette en dollars des économies fortement dépendantes du financement étranger.

La Tunisie
La Banque centrale de Tunisie est face à un dilemme : redresser son taux dans le but de maintenir la stabilité du dinar ce qui augmenterait le coût du crédit des ménages et des entreprises ou bien le diminuer pour favoriser la reprise éventuelle de l’investissement et la croissance économique. Néanmoins, l’appréciation du dollar suite à la hausse récente du taux d’intérêt directeur américain aura principalement deux conséquences. D’une part, une amplification de la dette en dollars puisque que pour chaque appréciation du dollar face au dinar de dix millimes correspond un coût additionnel du service de la dette de 20 millions de dinars du fait que le tiers de l’encours est libellé en dollars américains. D’une autre part, une augmentation des subventions et du déficit budgétaire. En effet, les experts prévoient une hausse du prix des matières premières et des hydrocarbures en 2017. Le prix moyen du baril de pétrole dépassera celui adopté par la loi de finance 50 dollars. On estime que pour chaque hausse d’un dollar du prix du baril, le budget consacrera 48 millions de dinars, ce qui est l’équivalent de 8% de la facture des subventions dédiées aux hydrocarbures.

Tableau : Projection des indicateurs de la  Tunisie

Taux de croissance du PIB (aux prix constants de l’année 2010) % 1.0 1.4 2.2 2.8
Taux de croissance du PIB hors agriculture(aux prix constants de l’année 2010)% 0.3 1.8 2.2 2,6
Taux d’inflation 4.9 3.8 5.0 4.2
Taux d’inflation sous-jacente (hors produits alimentaires frais et administrés) 5.3 5.1 5.0 4.6
Taux d’intérêt% 9.0 8.2 6.4 6.1
Output gap% -4.7 -4.9 -4.1 -3.4

Il est à signaler que globalement notre économie sera moins impactée que les pays dont la monnaie dépend directement du dollar. La banque centrale de Tunisie prévoit que la croissance économique suivra une trajectoire ascendante. La progression du PIB, aux prix constants de 2010 sera de 2,2% en 2017 et 2,8% en 2018. La croissance hors agriculture s’établirait autour de 2,2% en 2017 et 2,6% en 2018. Cette faiblesse attendue s’explique par l’instabilité politique et la baisse de la récolte des olives en 2017. Les prévisions de l’inflation poursuivront une tendance haussière pour atteindre une moyenne annuelle de 5,0% en 2017 et de 4,2% en 2018. Cette tendance est expliquée par la persistance des pressions sur le taux de change et la hausse des prix mondiaux des matières premières. L’inflation subordonnée demeure élevée.

Avec MAC SA