Secteur du leasing : une croissance qui défie la santé de l’économie

Production : une croissance qui défie la santé de l’économie
Le secteur du leasing s’est bien défendu en 2016 dans une conjoncture économique au plus bas :
+8% de croissance des mises en force. Mais cette évolution – et le contexte le justifie – est trois fois moins importante que pendant les années glorieuses d’avant Révolution (2006-2010) où le secteur faisait prévaloir une croissance annuelle de 25%.

Trois facteurs ont favorisé, selon nous, la croissance du secteur en 2016 :

  1. La diversion des banques du financement des PME à la fois pour des raisons conjoncturelles d’assèchement de liquidités que pour des raisons opportunistes (afflux vers les bons d’Etat au couple rendement risque plus attractif…et refinançable, de surcroît, auprès de la BCT)
  2. L’« inflation importée » : le leasing finance majoritairement (75%) du matériel roulant dont les prix ont mécaniquement augmenté avec la dépréciation du Dinar. C’est un effet prix « trompe-l’œil » qui a boosté la valeur de la production et qui sera plus prononcé en 2017 avec la dégringolade de la monnaie;
  3. Enfin, un regain de dynamisme pour l’activité de BTP (+70% de croissance des mises en force) avec l’accélération de certains marchés publics d’infrastructure, consommateurs de leasing.

Tunisie Leasing et Hannibal Lease ont été les locomotives du secteur en 2016. Les deux sociétés ont capturé la totalité de la production « laissée » par l’ancienne Wifeck Leasing, reconvertie en banque fin 2015 et par l’AIL qui connait une baisse de régime importante. Si ce dynamisme paraît anodin pour Hannibal Lease – un challenger qui a habitué le marché par sa vigueur commerciale – il n’en est pas de même pour Tunisie Leasing qui retrouve une de ses plus fortes croissances depuis la Révolution.

Dans de moindre proportions, Attijari Leasing (+16%) accélère sa croissance et augmente sa part de marché après trois années de surplace.

Les trois facteurs qui ont soutenu le secteur en 2016 ont encore des traces présentes cette année et devraient continuer à porter la production de 2017.

Avec une anticipation de croissance économique plus forte, nous pensons que les mises en force devraient franchir la barre de 2 milliards de dinars cette année, constituant un record pour le secteur.

Produit Net de Leasing : des marges qui résistent…tant bien que mal
Le produit net de leasing du secteur coté a progressé de 21% en 2016, quasiment en ligne avec les encours (+19%) reflétant une stabilisation globale des marges. Il faut dire que depuis 2013, les sociétés de leasing tentent, tant bien que mal, de préserver leurs marges en répercutant la hausse du coût de ressources sur leurs taux de sortie (+100 points de base sur la période).

La marge de leasing s’élève désormais à 3.2%, plus ou moins stable depuis quatre ans. Nous sommes bien loin des 4% affichés cinq ans plus tôt mais ces niveaux seront-ils atteints à nouveau?
La réponse est vraisemblablement non au regard de la concurrence de plus en plus rude qui sévit dans le secteur et de l’assèchement de plus en plus prononcé des sources de financement.

Deux sociétés se démarquent par rapport à la moyenne du spread sectoriel:

  • Best Lease qui affiche le spread le plus élevé. La société reste à l’écart de la guerre des prix en s’adressant à une niche de clients particulière, à la recherche d’un « leasing islamique »;
  • Hannibal Lease qui affiche, à l’opposé, le plus mince spread de leasing en raison d’un coût de ressources (7,2%), de loin le plus cher. Préoccupée par sa forte croissance, la société n’a pas cherché à optimiser ses ressources en se finançant « à n’importe quel prix ». Cette frénésie est également perceptible au niveau du levier financer : 9x largement supérieur à la moyenne du secteur et aux standards internationaux (max de 6x).

En 2017, la marge de leasing sera sous pression en raison de l’augmentation du taux directeur de 75 points de base. En attendant de faire passer cette hausse sur les taux de sortie (pas avant quelques mois selon nous), on devrait assister à un effritement des marges, particulièrement à partir du deuxième semestre. Les sociétés les moins impactées seront celles ayant réussi à faire basculer leurs ressources davantage vers les taux fixes, à leur tête ATL et Tunisie Leasing.

Productivité : des efforts salués
Hormis Best Lease – dont les charges salariales ont fortement augmenté- toutes les sociétés ont pu améliorer leur productivité en 2016 comparativement à 2015.
La palme d’or revient, comme toujours, à la CIL dont le coefficient d’exploitation n’a historiquement jamais dépassé les 35%.

Modern Leasing et Tunisie Leasing restent encore à la traine même si pour Tunisie Leasing, la productivité s’apparente mieux au niveau consolidé (charges fixes communes à l’ensemble des activités du groupe). Celle-ci reste néanmoins élevée (coefficient d’exploitation de 59%) plombé par la filiale africaine « Alios ».

Pour 2017, nous nous n’attendons pas à de changements majeurs ni au niveau de l’évolution ni au niveau du classement de la productivité des sociétés de leasing.

Qualité de portefeuille : une croissance bien plus saine

  • Tout comme les banques, la notion de qualité d’actif et d’évaluation de risque a pris une place beaucoup plus centrale chez les sociétés de leasing, en grande partie sous l’impulsion de la Banque Centrale. La croissance affichée aujourd’hui est bien plus saine que celle enregistrée dix ans plus tôt.
  • Les nouvelles habitudes de sélection du risque, et les efforts en termes de provisions, ont permis à la plupart des société d’améliorer leur qualité de portefeuille et de s’aligner aux recommandations de la Banque Centrale.
  • Les grands majors – Tunisie Leasing, Hannibal Lease, ATL et CIL – sont ceux qui affichent la meilleure qualité de portefeuille (couverture + créances classées).
  • Pour les autres (et particulièrement Best Lease qui a divisé par 2 son enveloppe de provisions en 2016), des concessions sur les résultats sont nécessaires au cours des prochaines années pour couvrir convenablement les risques.

Résultat net & ROE
Croissance de la production + maîtrise des marges et de la productivité + baisse du coût du risque : trois facteurs qui ont boosté les résultats de 2016 (+35%). Ce bond a permis de rehausser la rentabilité financière (ROE) à 12% en 2016 (après une moyenne de 10% sur les trois dernières années) mais reste bien loin des 17%-20% affichés dans les années 2008-2010.

Le secteur du leasing est entre « l’enclume et le marteau » avec d’un côté le renchérissement des ressources et de l’autre la concurrence – actuelle et potentielle (des banques)- et sa pression sur les taux de sortie. La pérennité des sociétés de leasing est donc de plus en plus tributaire de deux paramètres : (1) la croissance saine et (2) la recherche de relais de croissance. La plupart des sociétés de leasing sont d’ailleurs en train d’explorer des pistes de diversification : nouveaux produits (Hannibal Lease a lancé la LLD depuis quelques années) et/ou nouveaux marchés
(Afrique).

En 2017, nous nous attendons à une décélération de la croissance des bénéfices (+6%) suite au renchérissement du coût du financement. Mais de toute évidence, l’exercice des prévisions pour les sociétés de leasing – comme pour les banques – reste pour nous assez aléatoire du fait de l’incertitude sur l’évolution des risques… et donc sur les provisions.

Perspectives d’avenir :
Notre appréciation des perspectives du secteur est mitigée avec d’un côté des opportunités et de l’autre des zones de risque :

1. Les opportunités résident dans la nature du tissu économique tunisien, constitué en majorité de PME pour lesquelles le leasing est une forme de financement privilégiée (célérité, simplicité, non exigence de fonds propres ni de garanties hypothécaires). Le leasing a prouvé sa capacité à canaliser les ressources vers l’économie réelle (c.à.d les PME) et constitue, à ce titre, un secteur stratégique qui continuera à bénéficier de l’attention des autorités et du soutien des bailleurs de fonds internationaux (BERD, SFI…). Ces derniers assurent aujourd’hui 13% du financement du secteur (deux fois plus qu’il y’a cinq ans)! De plus, le taux de pénétration du leasing en Tunisie (3.5%) est moins élevé qu’au Maroc (4.5%) et totalement décalé par rapport à l’Europe (16%). Il est donc tout à fait légitime d’espérer une consolidation de ce secteur, dans le paysage financier national dans les prochaines années;

2. Les facteurs de risques que nous décelons sont plutôt liées à l’environnement concurrentiel et la guerre des prix qu’il peut susciter. Les banques sont de plus en plus intéressées par le marché des PME et la nouvelle loi leur a ouvert la voie à l’offre de produits islamiques (parfaits substituts au leasing). Cette menace est sans doute sérieuse mais à long terme à notre avis. D’abord, parce que le manque de liquidité actuel va pousser les banques à rationaliser leurs placements (donc préférence pour le client « Particulier » et le « Trésor »). Ensuite parce que les sociétés de leasing ont pris une longueur d’avance par rapport aux banques et ont développé une grande expertise dans la compréhension des besoins des PME et dans l’évaluation de leur risque.

Valorisation & Opinion de Tunisie Valeurs
CIL, Hannibal Lease et ATL ont connu de jolis parcours boursiers sur les trois dernières années avec des rendements en ligne, voire supérieurs, à la moyenne du marché.

Malgré la croissance des résultats et les rendements en dividendes alléchants (6,5%), le secteur du leasing demeure boudé en Bourse. La plupart de sociétés traitent à leurs niveaux de fonds propres, ou même moins, alors qu’elles ont pu améliorer leurs fondamentaux dans une conjoncture très difficile. Le secteur souffre d’un problème d’image, accentué par de faibles volumes d’échanges et un déficit de communication de la part des sociétés.

La capitalisation boursière de l’ensemble du secteur (470 MDT) est à peine plus grande que celle d’une banque (en l’occurrence l’ATB). A l’échelle individuelle, hormis Tunisie Leasing, la taille moyenne des sociétés de leasing est de l’ordre de 60 millions de dinars.

Nos recommandations sur les valeurs sont exposées ci-après et basées sur un horizon d’investissement de 18 à 24 mois tant sont nombreux les évènements à pouvoir affecter le secteur sur le moyen terme. Bien que la croissance des sociétés de leasing ne semble pas près de renouer avec celle des années 2005-2010, nous pensons qu’il peut être opportun de s’y positionner au regard des niveaux de valorisation actuels (P/B de 1,1 contre une moyenne de 1,5 au Maroc).

Compte tenu des ratios boursiers, clairement acheteurs dans l’ensemble, notre classement est hiérarchisé en fonction des fondamentaux et des ratios prudentiels les plus solides.

D’après Tunisie Valeurs