Mohamed Salah Ayari appelle à une réforme structurelle du système fiscal tunisien
(Interview réalisée par Amal Ben Hajiba / TAP)
Alors que la loi de finances 2026 prévoit l’introduction d’un impôt sur la fortune, le débat autour de la justice fiscale ressurgit en Tunisie. Pour Mohamed Salah Ayari, conseiller fiscal et membre de l’Union arabe des experts en fiscalité, cette mesure, bien que symbolique, ne traduit pas une véritable équité fiscale. Selon lui, la priorité devrait être d’étendre la charge fiscale à un plus grand nombre de contribuables afin d’équilibrer le système.
Un impôt progressif redéfini dans le cadre de la loi de finances 2026
L’article 50 du projet de loi de finances 2026 abroge et remplace l’article 23 du décret-loi n°2022-79, relatif à la loi de finances 2023. Ce texte réintroduit l’impôt sur la fortune sous une forme plus élargie et progressive.
Concrètement, cet impôt est dû au 1er janvier de chaque année par les personnes physiques disposant d’un patrimoine supérieur à 3 millions de dinars (MD). Il est calculé au taux de 0,5 % pour une fortune comprise entre 3 et 5 MD et de 1 % pour une fortune excédant 5 MD.
La nouveauté majeure réside dans l’élargissement du champ d’application : l’impôt ne concerne plus uniquement les biens immobiliers, mais aussi les biens mobiliers, les dépôts bancaires, les fonds de commerce, les titres financiers et les capitaux mobiliers, y compris ceux détenus au nom des enfants mineurs à charge.
Certaines exceptions demeurent : la résidence principale, les biens à usage professionnel, les fonds de commerce effectivement exploités et les véhicules de tourisme d’une puissance inférieure à 12 chevaux fiscaux sont exclus de la base imposable.
Une mesure à portée symbolique plus que structurelle
Selon Mohamed Salah Ayari, l’impôt sur la fortune traduit davantage une volonté politique qu’une réforme de fond. Il rappelle que l’équité fiscale ne peut être atteinte sans une meilleure répartition de la charge fiscale entre les différentes catégories de contribuables.
Le conseiller fiscal cite à ce titre les inégalités flagrantes entre salariés et indépendants :
« En 2025, les recettes de l’impôt sur le revenu ont atteint 12,7 milliards de dinars, dont 8,7 milliards proviennent de la retenue à la source sur les salaires, soit près de 70 % du total », souligne-t-il.
Les professions commerciales, artisanales et de services ne contribuent qu’à hauteur de 30 %, un déséquilibre qui traduit, selon Ayari, l’ampleur de l’évasion fiscale dans ces secteurs.
L’évasion fiscale, talon d’Achille du système tunisien
Pour l’expert, l’évasion fiscale demeure la principale entrave à la justice fiscale. Il estime que le taux actuel de vérification fiscale de 2,5 %, assuré par environ 2 200 agents, reste largement insuffisant comparé à la moyenne internationale, située entre 8 % et 10 %.
Ayari plaide pour un renforcement des moyens de contrôle et une digitalisation complète du système fiscal. L’objectif : croiser les données, identifier les sources de revenus dissimulées et garantir une meilleure transparence du patrimoine des redevables.
La digitalisation, explique-t-il, doit devenir un levier de modernisation et d’efficacité budgétaire, permettant à l’État d’élargir son assiette sans augmenter les taux d’imposition.
Vers un équilibre durable des finances publiques
Selon Ayari, un système fiscal équitable permettrait de réduire la pression sur les salariés et les ménages à revenus moyens, tout en préservant l’équilibre des finances publiques.
« Lorsque le budget est correctement alimenté, il devient possible de diminuer les taux d’imposition sans compromettre les ressources de l’État », conclut-il.
Cette approche met en lumière la nécessité d’une réforme structurelle et numérique de la fiscalité tunisienne, condition essentielle pour assurer une croissance inclusive et une stabilité budgétaire durable.
