Walid Ben Salah : Les intérêts des crédits bancaires augmenteront de 20, voire de 25%, par rapport à ceux payés en avril 2017

Le coût des crédits octroyés par les banques tunisiennes aux investisseurs et aux particuliers va se renchérir. Ainsi, les intérêts augmenteront de 20, voire de 25%, selon la nature du crédit (consommation, immobilier…), en comparaison avec ceux payés en avril 2017, et ce, en raison de l’augmentation du taux directeur de la BCT, à trois reprises (en avril et en mai 2017 et en mars 2018), pour totaliser une hausse de 1,5% (passant de 4,25% en avril 2017 à 5,75% en mars courant).

Le TMM grimpera rapidement pour atteindra le seuil de 6,75%, d’ici fin mars

Rappelant que toute hausse du taux directeur (taux minimal appliqué sur les crédits hebdomadaires octroyés par la BCT, aux banques de la place) se répercute, directement, sur le taux du marché monétaire –TMM- (taux moyen mensuel des crédits interbancaires), Ben Salah a averti que « la situation va s’aggraver davantage, puisque nous risquons de voir le TMM grimper rapidement, avec une hausse quotidienne moyenne de 0,05%, pour atteindra le seuil de 6,75% d’ici la fin du mois en cours ».

« Base du calcul des intérêts appliqués sur tout crédit bancaire, cette hausse du TMM a été confortée, également, par un manque au niveau des liquidités, du à une forte demande de refinancement de la part des banques », a relevé l’expert-comptable,

Depuis que la BCT a fixé (en juillet 2017) le niveau de refinancement hebdomadaire des banques à 7 milliards de dinars, les banques se sont retrouvées en manque de liquidités et elles se sont orientées vers le financement interbancaire, qui s’est accru considérablement et il se situe actuellement, aux alentours de 6,5 milliards de dinars. Ainsi, le volume global du refinancement a atteint, à la date du 16 mars 2018, 13,3 milliards de dinars, contre 8,2 milliards de dinars, durant la même période de l’année écoulée, ce qui représente une hausse de plus de 61%.

« Outre le renchérissement des coûts des crédits destinés aux particuliers et à l’investissement, cette hausse du TMM engendrera aussi, des difficultés pour les entreprises qui ont recours aux crédits pour financer leurs stocks, leurs importations…, ce qui impactera directement soit les prix de leurs produits, alimentant ainsi, l’inflation, soit leurs résultats financiers, ce qui se répercutera sur les recettes fiscales », a indiqué, Ben Salah.

Il a, de même, souligné que cette hausse aura des répercussions négatives sur le secteur du leasing, dont la source principale de financement est le secteur bancaire, puisque les marges bénéficiaires régresseront face à l’accroissement des coûts de leurs crédits bancaires.

Dans le même contexte, il a mis en garde contre la hausse du coût des bons du trésor achetés par les banques, pour l’Etat , ce qui engendrera le renchérissement du service de la dette publique, et par conséquent l’aggravation du déficit budgétaire.

Le TMM moyen pour le mois de mars variera entre 5,9% et 6,1%

Contrairement à l’avis de l’expert comptable, le directeur de la trésorerie à la Société Tunisienne de Banque (STB), Oussama Mellouli, a indiqué, «nous nous attendons à un TMM moyen pour le mois de mars variant entre 5,9% et 6,1%», rappelant que durant la première semaine du mois de mars courant, il n’a pas dépassé le niveau de 5,60 et 5,61%.

Et d’ajouter que dès la mise en application de la décision de la BCT, le TMM s’est maintenu entre 5,80% et 6%, voire 6,1%. « Par une simple opération de calcul, on peut conclure que la hausse du TMM serait aux alentours de 0,4% et dans le pire des cas, de 0,5%. Donc, le choc n’aura pas lieu pour les bénéficiaires des prestations bancaires (investisseurs et particuliers), d’autant plus que la BCT veillera toujours à maitriser la situation en réduisant le volume des crédits accordés aux banques. Autrement dit, l’institut d’émission peut minimiser ses interventions de financement des banques pour agir sur l’offre des crédits ».

«La BCT ne peut pas risquer d’affecter le pouvoir d’achat du citoyen, ni l’investissement, ni encore, le système bancaire qui sera menacé, en cas de risques de non paiement des échéanciers », a-t-il réitéré, rassurant que « nous ne pouvons pas avoir un scénario catastrophique ».

«Théoriquement, la BCT peut relever son taux directeur à 6,75%, mais elle ne va pas le faire, car ce sera suicidaire. L’institut d’émission est suffisamment, responsable et toutes ses décisions sont dosées, il a voulu juste créer un effet de choc, à travers cette annonce, en tirant la sonnette d’alarme sur la situation économique qui ne cesse de s’aggraver ».

Pour Mellouli, cette mesure est ponctuelle. Dès que l’inflation sera maîtrisée, la BCT révisera, fort probablement, le taux directeur à la baisse. « C’est un dosage très fin, il ne faut ni trop l’élever, ni trop l’abaisser ».

« La maîtrise de l’inflation est une priorité, aujourd’hui, même si l’augmentation du TMM aura des incidences sur le particulier et l’investisseur, qui verront leurs crédits se renchérir », a t-il indiqué, réitérant que  » la hausse du coût des emprunts ne durera qu’une période limitée, juste le temps de surmonter la crise actuelle ».

«La BCT connait bien les incidences de chaque décision qu’elle prend, elle les évalue pour décider par la suite, de poursuivre cette mesure, de l’abandonner ou de la doser (minimiser ou augmenter encore le taux directeur par exemple) » a assuré le responsable bancaire.

Augmentation du taux directeur, un choix inévitable face à une inflation rampante

Le banquier a estimé que la BCT n’avait pas d’autres choix, face à une inflation rampante, résultante de la hausse des salaires, du blocage de l’appareil productif et de l’absence de la création d’une richesse réelle dans le pays.

Veillant à assurer la stabilité des prix, ne disposant pas de beaucoup d’outils pour maîtriser l’inflation, la BCT s’est retrouvée dans l’obligation d’augmenter le taux directeur, mais aussi de mobiliser d’autres mesures, dont le refinancement des banques ».

D’après Mellouli, « l’inflation est une responsabilité de tous les intervenants et non uniquement de la BCT. Il faut prendre d’autres mesures, parallèlement à l’augmentation du taux directeur, lesquelles ne sont pas du ressort de la Banque, mais plutôt du gouvernement, et qui se rapportent à la politique budgétaire du pays (maîtrise de la masse salariale, baisse de l’importation…) ».

«Grace à la gestion des taux (directeur et TMM), l’Institut d’émission veille à favoriser la maîtrise de l’importation, de la balance commerciale et par conséquent du taux de change, sans toucher aux intérêts du citoyen », a-t-il considéré, ajoutant que ces résultats ne vont se ressentir qu’au bout de 6 voire de 9 trimestres après la mise en application de cette mesure.

La décision de la BCT d’augmenter le taux directeur est «indispensable»

De son côté, Taoufik Ben Jemia, membre du bureau national de l’Organisation de Défense du Consommateur (ODC), a qualifié la décision de la BCT d’augmenter son taux directeur, de «judicieuse» et «d’indispensable», pour parvenir à surmonter cette spirale inflationniste.

«L’ODC reçoit quotidiennement, des réclamations des citoyens, des quatre coins de la République, sur la hausse inacceptable des prix de tous les produits de base et aussi des loyers », a t-il fait savoir, rappelant «nous sommes actuellement, en intersaison, mais les consommateurs auront à faire face prochainement, aux grandes saisons de consommation avec l’avènement du mois de Ramadan et de l’Aid El Fitr, suivi par la saison estivale et par la suite de l’Aid El Kébir ( la fête du sacrifice) et de la rentrée scolaire ».

Pour lui, il est impératif de faire face à cette inflation, afin de parvenir à préserver le pouvoir d’achat du citoyen. Si «des mesures douloureuses», sont nécessaires, elles doivent être « provisoires » et «maîtrisées».

Dans ce cadre, il a appelé à mener des actions parallèles à cette mesure d’augmentation du taux directeur, dont le lancement d’une campagne de sensibilisation auprès des citoyens sur la rationalisation de la consommation et le renforcement du rôle de l’Etat au niveau du contrôle des prix et la régulation du marché.