Le QE de la BCE : le forward guidance de l’école de Francfort

Le Conseil des gouverneurs de la semaine prochaine est tout particulièrement attendu. Tout d’abord, Mario Draghi a promis, en septembre, que les décisions concernant le programme d’assouplissement quantitatif (QE) seraient pour l’essentiel adoptées en octobre. Ensuite, la croissance économique est vigoureuse et les indicateurs avancés de l’inflation (prix des intrants ou délais de livraison des fournisseurs) reflètent un renforcement des pressions à la hausse. Les « faucons » pourraient alors plaider en faveur d’importantes réductions des rachats mensuels et d’un prolongement limité du programme. Enfin, après le léger durcissement de ton de la Fed, l’euro s’est quelque peu replié, conférant à la BCE une plus grande marge de manœuvre.

Deux choses semblent claires : le programme de QE sera bel et bien prolongé, mais les volumes de rachat mensuels iront en diminuant. La presse parle d’une reconduction de neuf mois, mais avec une réduction de moitié des volumes à EUR 30 mds. Les marchés ont favorablement réagi et les rendements obligataires ont reculé, au grand soulagement de la BCE. Mais le diable est dans les détails : privilégiera-t-on désormais les rachats d’obligations d’entreprises au détriment des obligations d’État ? Une telle démarche pourrait être judicieuse compte tenu des interrogations des investisseurs quand la BCE ne pourra plus acheter de la dette de pays comme l’Allemagne ; elle pourrait même alimenter les anticipations selon lesquelles ce prolongement ne serait pas le dernier. Une réduction significative des volumes mensuels donnera-t-elle le sentiment que cette reconduction est la dernière ou, au contraire, qu’à ce rythme le programme est appelé à durer ?

De prime abord, on peut penser qu’il revient au même de procéder à des rachats mensuels peu élevés ou de ne rien faire. Pourquoi continuer ? La réponse doit être nuancée. Le QE agit par le biais du rééquilibrage du portefeuille (visant à amener les investisseurs à arbitrer les obligations d’État au profit d’actifs plus risqués y compris hors zone euro) et du signal. Le premier de ces canaux ne joue plus son rôle et ce sera d’autant plus le cas avec une réduction significative des rachats. Le canal du signal, en revanche, occupe une place décisive car il permet d’éviter l’intégration prématurée d’un relèvement des taux dans les prix du marché. Autrement dit, le QE est devenu, pour la BCE, un outil de forward guidance : « les taux vont se maintenir aux niveaux actuels pendant une longue période et bien au-delà de l’horizon fixé pour les achats d’actifs nets ». La littérature distingue deux écoles en matière de prospectives : le forward guidance « delphique » et le forward guidance « odysséen ». Pour la première, il n’y a pas d’engagement en faveur d’un mode d’action particulier.

L’orientation prospective porte sur les évolutions macroéconomiques attendues et leurs conséquences pour la politique monétaire. Pour la deuxième, en revanche, la banque centrale prend l’engagement ferme d’adopter une ligne de conduite particulière. On peut à présent y ajouter l’orientation de « l’école de Francfort » : au moyen du QE on passe le message que les taux seront maintenus inchangés longtemps et on évite d’avoir à préciser ce qu’il faut entendre par « bien au-delà ».