Pourquoi il est important d’adopter une politique financière globale plus efficace ?


Dans le cadre de sa politique financière, la Banque Centrale de Tunisie (BCT) propose un projet de circulaire amenant les banques résidentes de réduire progressivement leurs ratios crédits/dépôts. L’objectif principal est d’inciter ces banques à mobiliser davantage les dépôts et d’adopter une gestion actifs-passifs plus dynamique. Cette mesure tente de limiter le recours excessif actuel de ces banques à des ressources de très court terme auprès de la BCT et de réduire aussi leur forte exposition au risque de transformation.

Plusieurs questions se posent. Est-ce que cette mesure s’insère dans le cadre d’une politique financière globale de l’Etat qui vise à renforcer le mécanisme de financement de l’économie ? Est-ce que cet instrument contribue à la réalisation des objectifs de développement de long terme ? Est-ce que le métier de banquier qui consiste essentiellement à collecter des dépôts et à distribuer du crédit est concrétisé en Tunisie ?

L’objectif de ce billet économique est de présenter quelques options de politiques financières susceptibles d’influencer les activités des agents financiers afin de réaliser l’objectif de croissance et de développement durable.

Les faits stylisés

Le secteur financier joue un rôle de catalyseur de la croissance économique, en mobilisant l’épargne de différents agents et en la répartissant entre les demandeurs de financement. Cependant, les banques tunisiennes n’ont pas fourni un effort dans la collecte des dépôts pour financer les investissements mais au contraire elles ont tiré profit de la facilité du financement de la BCT pour augmenter leur ressource. En effet, les banques profitent de la rente en provenance de l’achat des titres de l’Etat à faible risque à partir du refinancement de la BCT. Cette situation a entrainé un rationnement de crédit et un sous investissement.

En général, le ratio crédits/ dépôts est un indicateur pour mesurer la capacité des banques à financer elles-mêmes les prêts accordés. Lorsque ce ratio est au-dessous de 100%, elles peuvent financer intégralement ses prêts, au-dessus de 100%, elles doivent chercher des financements extérieurs. Les banques tunisiennes affichent un ratio moyen supérieur à 100%. Concrètement, ce ratio de transformation signifie que les crédits représentent plus de 100% des dépôts des banques ou, en d’autres termes, pour chaque 100 dinars de ressources collectées, plus de 100 dinars sont transformés en crédits.

Commençons par répondre à la question suivante : pourquoi ce ratio peut être supérieur à 100% ? Est-ce qu’il s’agit d’un paradoxe ? En fait, à chaque fois qu’une banque accorde un crédit, le bénéficiaire le place en principe en dépôt dans le circuit bancaire. Ce mécanisme est connu à travers la citation de Withers « les prêts font les dépôts ». Au niveau agrégé, l’ensemble des crédits accordés devrait en principe être égal à l’ensemble des dépôts. Dans le cas où les dépôts sont inférieurs aux crédits, cela veut dire que quelques bénéficiaires de crédit n’ont pas transformé ce crédit en dépôt. Il existe en général deux explications: i) soit le crédit a été transféré hors la Tunisie, ce qui est marginal suite à la non ouverture du compte capital, ii) soit il a servi à acheter des obligations non bancaires, ce qui est le plus plausible. En outre, on constate que ce ratio comporte des disparités entre les banques.

Quelques options de politiques financières pour promouvoir la croissance

La politique financière de l’État vise à renforcer le mécanisme de financement de l’économie. Elle doit être efficace pour assurer la réalisation des objectifs stratégiques de croissance inclusive et de développement durable. Dans ce contexte, l’offre de crédit devra être ciblée, à montants adéquats et à des taux d’intérêt étudiés. La politique financière a joué un rôle important dans le succès des stratégies de développement extraverties menées par des pays asiatiques (Corée du Sud et Taiwan) qui ont gagné le pari de la compétitivité et ont diversifié leur secteur d’activité.

Cette politique financière a été guidée par les trois lignes directrices suivantes :

1.Elaboration d’un ratio « crédit/dépôt » cible
Le premier but de la politique financière est d’assurer la disponibilité du crédit pour tous les projets d’investissement bancables. Il existe un problème lié d’une part au processus d’intermédiation financière des banques relatif à la non synchronisation entre les échéances et les caractéristiques de liquidité des passifs et d’autre part les demandes de prêt. Cette
situation a diminué l’offre de crédit, a augmenté l’achat des obligations d’Etat et a rationné les crédits. Une politique financière qui vise la croissance économique doit soutenir un niveau adéquat de disponibilité du crédit. L’instrument important pour réaliser cet objectif est le ciblage d’un ratio de crédit/dépôt et l’imposition d’un niveau d’intermédiation adéquat. Le niveau de ratio crédit/dépôt communément admis est proche de 100%. Un ratio faible signifie qu’on doit adopter des politiques pour redynamiser l’économie comme la réduction du taux d’intérêt.

2.Mettre des crédits à long terme à la disposition des investisseurs

Les banques universelles mobilisent des capitaux (épargne et dépôts à terme) et acquièrent des passifs de faible valeur individuelle, à courte échéance et de nature très liquide. Toutefois, les crédits nécessaires à la plupart des investissements sont généralement importants, risqués et non liquides. Ce constat a amené les banques à accorder davantage des crédits d’exploitation et moins d’investissement de long terme. Pour résoudre ce problème, quelques pays ont développé le marché des actions et d’autres ont créé des banques de développement. Une politique financière qui consacre une part importante aux nvestissements de long terme est fortement recommandée. Cette politique doit être accompagnée par la mise en place des mécanismes de gouvernance soutenant la transparence des procédures, la divulgation des informations appropriées et le contrôle.

3.Assurer une distribution sectorielle appropriée
La croissance durable exige non seulement un volume suffisant de crédit de long terme, mais aussi sa répartition sectorielle adéquate. L’investissement dans l’infrastructure, le capital humain, l’innovation et les secteurs stratégiques générateurs d’externalités positives favorisent la croissance durable. Toutefois, cet investissement est à risque plus élevé et à des rendements privés faibles. Les banques hésitent à financer cet investissement du fait du décalage des échéances et des liquidités. En effet, lorsque les banques cherchent uniquement les rendements privés, ces investissements ne percevraient pas suffisamment de financement. Les banques publiques peuvent jouer un rôle crucial dans le financement de ces investissements générateurs d’externalités positives.

Le gouvernement devra adopter une vision globale des besoins de l’économie de long terme et faire l’effort de coordination et de ciblage en dépassant les dis-fonctionnement du marché. Le secteur financier et la BCT peuvent jouer le rôle de coordination et de ciblage des investissements. Dans les pays asiatiques, l’Etat à travers sa politique financière garantit à ces investisseurs un flux important de crédit même à des taux d’intérêt favorables. Les investissements dans des technologies de pointe et la création des avantages compétitifs dans la production des variétés ont été réalisés grâce à cette politique financière interventionniste. Le rôle du gouvernement dans ces pays ne s’est pas limité à la coordination d’investissements, mais à l’utilisation du système financier comme un moyen d’orienter l’investissement vers les infrastructures et les secteurs de hautes technologies stratégiques.

Il est fortement recommandé pour notre pays d’adopter une politique financière axée sur la croissance et le développement durable qui sera capable de diriger une partie importante des crédits vers certaines activités comme l’infrastructure, le capital humain et les secteurs stratégiques à hautes technologies. Le gouvernement à travers les institutions financières doit assumer des fonctions entrepreneuriales. Il doit déterminer le niveau de l’épargne et de l’investissement productif, le choix des technologies de pointe et des secteurs cibles ainsi que l’offre d’assistance technique