Comment intégrer la politique commerciale dans la stratégie nationale de développement ?

En dépit de la dépréciation du dinar vis-à-vis de l’euro et du dollar depuis plusieurs années, le solde de la balance commerciale ne s’est pas amélioré. En effet, la raison évoquée est que la dévaluation du dinar vise à augmenter la compétitivité économique du pays en rétablissant l’équilibre de la balance commerciale.

Les effets attendus sont réalisés en deux temps:

  • Dans un premier temps, la réduction de la valeur du dinar fait augmenter le prix et la valeur des importations, effectuées dans d’autres monnaies comme l’euro et le dollar. Cet « effet prix » dégrade la balance commerciale (importation du pétrole, céréale etc.).
  • Dans un deuxième temps et à moyen terme, c’est l’« effet volume », qui l’emporte. La baisse des prix des biens exportés par la Tunisie permet d’augmenter les quantités vendues à l’étranger, tandis que l’augmentation du prix des importations incite à importer moins de produits de l’étranger à l’exception des biens incompressibles difficiles à diminuer comme le pétrole, les matières premières et les biens d’équipement.

Ces deux effets opposés sont représentés dans la courbe en J c’est-à-dire la dépréciation entraîne en premier temps une brève dégradation de la balance commerciale, pour aboutir à une amélioration plus importante de la balance commerciale. Les données statistiques et l’analyse économétrique montrent que la baisse de la valeur du dinar a au contraire augmenté les importations et le déficit commercial. Ce constat pose plusieurs questions. Est-ce que la courbe en J joue en Tunisie ? Doit-on continuer à dévaluer le dinar ? Est ce qu’il existe d’autres politiques capables de limiter les importations et le déficit commercial ?

Les faits stylisés
Le cours du change moyen du dinar a connu, pendant le premier trimestre de l’année 2018 et en comparaison avec sa valeur de l’année précédente, une dépréciation de 17,6% à l’égard de l’euro et de 5,5% vis-à-vis du dollar américain. Les importations ont aussi augmenté au cours du premier trimestre de 2018. Ces augmentations ont touché pratiquement tous les produits et surtout les produits dont la demande est incompressible (inélastique par rapport au prix) c’est-à-dire la demande de biens importés sera satisfaite quelque soit le prix mondial. Parmi les augmentations des prix des produits importés, on recense les produits énergétiques avec une hausse de 37,4%, le gaz naturel, les matières premières et demi-produits 28,4%, les biens d’équipement 17%, les produits alimentaires 12,1% et le blé et l’orge. En outre, les textiles et habillements et les appareils électriques et mécaniques destinés à la consommation ont augmenté respectivement de 15,1% et 16,6%. Les exportations ont connu aussi une accélération suite à une amélioration relative du climat social. Cette augmentation a touché surtout le secteur de l’agriculture et des industries agroalimentaires (89,4%) et les industries manufacturières (26,7%), et les industries mécaniques et électriques (26,6%). Le déficit commercial sous le régime général a augmenté de 239 MDT pour dépasser 6,3 milliards de dinars.

Les graphiques montrent une relation positive entre le volume des importations et la dépréciation du dinar par rapport à l’euro et le dollar entre l’année 2000 et mars 2018.

Cette évolution du taux de change et des importations impactera négativement l’économie tunisienne selon quatre dimensions:
•Dégradation du déficit commercial suite l’augmentation du niveau des importations;
•renchérissement de la dette extérieure exprimée en monnaie nationale ;
•hausse des prix des produits de consommation importés comme le blé et les produits énergétiques comme le pétrole qui augmentent les subventions et le déficit budgétaire ;
•hausse des prix des biens importés qui agit positivement sur les prix domestiques ce qu’on appelle l’inflation importée.

Pour contrecarrer cette hausse des importations, la banque centrale a exigé par le biais de la circulaire N° 2017-09 aux banques universelles d’appliquer d’une manière discrétionnaire de nouvelles mesures de financement des importations des produits de consommation sans indiquer les critères de sélection. En effet, à partir du 27 octobre 2017, les banques ont été appelées à ne plus ouvrir des lettres de crédit pour l’importation des 220 produits de consommation énumérés dans une liste, à moins que l’importateur bloque de ses fonds propres chez sa banque une somme qui couvre la totalité de la valeur de la marchandise importée. Cette démarche n’interdit pas l’importation de ces produits et n’est pas considérée ainsi comme une mesure non tarifaire (MNT), mais elle permet, d’une part de baisser la demande sur les devises et d’autre part de dissuader les importateurs et faire baisser la pression sur la balance commerciale.

Vers une nouvelle politique commerciale

La Tunisie a toujours considéré l’ouverture commerciale comme un facteur de croissance économique. Les exportations des biens et des services constituent une source importante de financement extérieur pour une croissance durable. Malgré ce rôle moteur pour le développement, la Tunisie n’a pas pu tirer pleinement profit. La politique commerciale mise en oeuvre est statique et ne fait pas l’objet de stratégie globale de développement. À l’inverse, plusieurs pays comme les pays asiatiques performants ont exploité leur avantage comparatif par:

  • L’application des politiques commerciales dynamiques qui évoluent avec le temps et varient selon les secteurs en fonction des besoins de développement ;
  • Le dosage complexe d’ouverture et de restrictions sélectives, dans le cadre de stratégies globales de développement.

La Tunisie devrait développer une politique basée sur l’alternance et le dosage d’ouverture et de contrôle, dans le contexte d’une stratégie globale de développement. L’intégration de la politique commerciale devrait se concevoir dans le contexte plus large, notamment le cadre macroéconomique, les politiques budgétaires et monétaire et les reformes réglementaires et institutionnelles.

L’importation excessive des produits non contrôlés et qui ont affecté la santé humaine, animale et végétale nous amène à instaurer des mesures non tarifaires plus strictes. Selon les accords de l’OMC, l’utilisation de ces mesures non tarifaires (MNT) est autorisée dans certains cas. Ils comprennent, entre autres, l’Accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC) ou celui sur les mesures et phytosanitaires (SPS). Ces accords autorisent les pays à mettre en oeuvre des politiques ayant un objectif légitime afin de protéger la vie humaine, animale, végétale, la faune et la flore, l’environnement, et la sécurité humaine. L’accord SPS traite l’état des produits alimentaires, de la santé et de la sécurité des animaux et des végétaux. L’accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC) vise à ce que les normes et les procédures d’essai et d’homologation des produits ne soient pas source d’obstacles au commerce. Les mesures SPS et OTC n’ont pas de dimension bilatérale. Elles sont appliquées unilatéralement par les pays importateurs et appliquées à l’ensemble des pays exportateurs.

Ces mesures ne sont pas nouvelles, elles sont appliquées par les pays développés. Aujourd’hui, la capacité d’accès des pays en développement aux marchés des pays développés est liée au respect d’un nombre croissant de mesures réglementaires qui visent des objectifs stratégiques non commerciaux. L’importance grandissante de ces mesures dans la fixation des conditions d’accès aux marchés est expliquée par les deux facteurs : i) le besoin grandissant en matière de santé, sécurité et protection environnementale et ii) l’inefficacité des politiques commerciales traditionnelles du fait que les tarifs douaniers sont généralement bas suite à la multiplication des accords de libre échange et des accords commerciaux préférentiels régionaux et bilatéraux.

Les données statistiques sur les mesures non tarifaires sont rares et même si elles existent, elles ne permettent pas d’établir clairement la séparation entre ce qui relève de l’accès aux marchés, du traitement national et de la réglementation intérieure. En outre, le champ des MNT est vaste et ses frontières sont floues. Les données sont collectées par de nombreuses institutions différentes pour traiter des problématiques différentes. Elles comportent des lacunes importantes pour certains pays et certaines périodes. Malgré ces problèmes statistiques, les économistes ont pu tirer quelques conclusions préliminaires. Le nombre de mesures non tarifaires semble avoir augmenté à la fin des années 1990, mais entre 2000 et 2008, il s’est stabilisé. Il a repris sa hausse après la crise financière. Les résultats des enquêtes et les données statistiques disponibles montrent que la part des mesures OTC et SPS dans les MNT est importante et que ces MNT sont utilisées plus souvent par les pays développés que par les pays en développement. Plusieurs économistes considèrent que les procédures administratives contraignantes, la lourdeur bureaucratique et la mauvaise gouvernance jouent le rôle des MNT puisqu’elles découragent les importateurs et le commerce.

Chaque pays pourrait mettre des barrières à l’échange, en particulier des barrières non tarifaires. Il s’agit d’un ensemble de mesures protectionnistes liées aux normes techniques, environnementales, sécuritaires et sanitaires. Le but de ces barrières est de limiter les importations de biens et de services étrangers en vue de protéger l’économie nationale. Ces barrières sont pratiquées par presque tous les pays et sont de plus en plus nombreuses et diversifiées. La Tunisie qui a vu ses importations des biens de mauvaise qualité augmenter d’une manière excessive et non contrôlée devra instaurer des mesures non tarifaires et développer une politique basée sur l’alternance et le dosage d’ouverture et de contrôle, dans un contexte d’une stratégie globale de développement.