L’euro peut-il défier le dollar roi ?
Lors de son discours sur l’état de l’Union à Strasbourg, le 12 septembre dernier, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a annoncé que des propositions seraient présentées, avant la fin de l’année, « pour renforcer le rôle international » de l’euro face au dollar. « Il est aberrant, s’est-il insurgé, que les compagnies européennes achètent des avions européens en dollars et non pas en euros ». Mais l’euro a-t-il les moyens de remettre en cause l’hégémonie du dollar ?

Il est un fait qu’en près de vingt ans d’existence, l’euro n’a jamais réussi à détrôner le dollar en tant que devise de référence internationale.
L’euro est la deuxième monnaie la plus importante dans le système monétaire international, loin derrière le dollar américain :

  • 63 % des réserves de change des banques centrales sont constituées de titres en dollars, contre 20% pour l’euro.
  • Le dollar est la monnaie de libellé de 56% des encours d’obligations mondiales – vs. 23% pour l’euro –, de 62% de la dette internationale – 23% pour l’euro – et il est utilisé dans 44% des transactions sur le marché des changes – 16% pour l’euro.
  • Les prix de référence utilisés pour la quasi-totalité du commerce des matières premières, à commencer par le pétrole, sont exprimés en dollar.
  • Ce n’est que pour les paiements effectués à l’échelle internationale que le dollar est talonné par l’euro (40% versus 36%).

De cette domination du dollar, les Américains tirent des avantages considérables, tant économiques (revenus de seigneuriage, baisse des taux d’intérêts, etc.) que politiques. Par exemple, la justice américaine fait du règlement en dollars d’une transaction le lien de rattachement aux États-Unis permettant d’étendre l’application de la loi américaine à toute entreprise, quelle que soit sa nationalité. C’est ainsi que le retrait, le 8 mai dernier, des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien, rétablissant du même coup les sanctions américaines contre l’Iran, a mis les Européens au pied du mur : toute entreprise qui continuera d’utiliser le dollar dans ses transactions avec Téhéran sera passible de sanctions. On comprend, dans ce contexte, la nouvelle ardeur de M. Juncker pour faire de l’euro « le visage et l’instrument d’une nouvelle Europe plus souveraine ». Mais l’euro a-t-il les moyens de remettre en cause l’hégémonie du dollar ?

Pour cela, l’euro dispose de deux atouts majeurs :

  1. La puissance économique de l’Union européenne (UE) : l’euro est la monnaie de la première puissance commerciale mondiale, l’UE. Et sa population est bien plus importante que celle des États-Unis (511,8 millions d’habitants, contre 325,7 aux USA) avec un PIB presque équivalent.
  2. L’indépendance de la Banque centrale européenne et son engagement en faveur de la stabilité des prix qui inspirent confiance et font de l’euro une monnaie de réserve fiable et une monnaie d’ancrage potentielle pour les pays étrangers désireux de gagner en crédibilité monétaire.

Mais il souffre de quatre handicaps par rapport au dollar :

  1. Les marchés financiers européens sont moins développés et moins intégrés qu’aux USA. En particulier, les marchés de dettes obligataires européens restent fragmentés, de sorte que l’euro ne peut offrir au reste du monde un marché obligataire qui rivalise en termes de taille, profondeur et liquidité avec les T-bonds (Treasury bonds) américains.
  2. La balance courante de la zone euro dégage un excédent massif. Pour que l’euro s’impose comme monnaie de réserve mondiale, la zone euro doit être en mesure de proposer une offre nette de liquidités suffisante pour répondre aux besoins de l’économie mondiale, ce qui implique que sa balance courante soit durablement déficitaire.
  3. L’euro reste une monnaie incomplète. L’hétérogénéité des économies européennes – vice originel de l’euro – couplée à une architecture de la zone euro qui reste incomplète (marchés de capitaux fragmentés, union bancaire inachevée, absence de transferts financiers significatifs entre États) fait planer le risque ultime d’éclatement de la zone euro.
  4. L’inertie du statut de monnaie internationale. Il est très difficile de concurrencer une monnaie déjà en place, car celle-ci bénéficie d’économies d’échelle et d’effets de réseau.

Aussi sommes-nous probablement encore loin du jour où l’euro pourra se poser en concurrent véritablement sérieux du dollar. La suprématie du dollar est-elle donc vouée à être éternelle ? En théorie, non. C’est le paradoxe de Triffin : la persistance des déficits courants américains, qui a pour corollaire l’accumulation de dettes extérieures doit fatalement, sur le long terme, compromettre la confiance qui est le socle du statut de monnaie de réserve.