La Tunisie en première ligne face à la montée des eaux méditerranéennes
La République tunisienne franchit une étape décisive dans sa lutte contre le changement climatique en annonçant officiellement, lors de la troisième Conférence des Nations Unies sur les Océans (UNOC 3) qui se déroulera à Nice du 9 au 13 juin 2025, le lancement d’une alliance méditerranéenne dédiée à la lutte contre l’élévation du niveau de la mer. Cette initiative stratégique répond à une urgence climatique identifiée par une étude récente menée en collaboration avec la Banque mondiale, qui classe la Tunisie parmi les pays méditerranéens les plus exposés à cette menace environnementale.
Le ministre de l’Environnement, Habib Abid, a officialisé cette annonce lors d’une conférence organisée lundi à Tunis, consacrée au thème « La Tunisie face à la triple crise mondiale : Pour une diplomatie environnementale et climatique efficace au service du développement ». Cette initiative intervient alors que les données scientifiques révèlent l’ampleur des risques encourus par le territoire tunisien face aux transformations climatiques en cours.
60 îles tunisiennes menacées : une perte territoriale de 20% prévue
L’urgence de cette alliance méditerranéenne se justifie par des projections alarmantes concernant l’intégrité territoriale tunisienne. Selon les données présentées par le ministre Habib Abid, les 60 îles que compte l’archipel tunisien risquent de subir une réduction drastique de leur superficie, avec des pertes estimées jusqu’à 20% dans les années à venir en raison de l’élévation continue du niveau de la mer.
Cette menace géographique directe illustre concrètement les défis auxquels la Tunisie doit faire face, positionnant le pays comme un laboratoire naturel pour développer des solutions innovantes de protection côtière. L’ampleur de ces projections souligne l’importance stratégique de l’initiative tunisienne pour l’ensemble du bassin méditerranéen, où d’autres nations côtières partagent des vulnérabilités similaires.
Une coopération méditerranéenne renforcée pour des solutions communes
La nouvelle alliance méditerranéenne proposée par la Tunisie s’articule autour de trois axes stratégiques fondamentaux. Premièrement, elle favorisera l’échange d’expertises techniques entre les pays méditerranéens confrontés à des défis similaires liés à l’élévation du niveau de la mer. Cette dimension collaborative permettra de capitaliser sur les expériences nationales et de développer des approches communes adaptées aux spécificités géographiques de la région.
Deuxièmement, l’alliance établira un réseau permanent entre les ministères et structures gouvernementales concernés par cette problématique, facilitant ainsi les discussions sur les solutions possibles et le partage des meilleures pratiques. Cette architecture institutionnelle garantira une coordination efficace des efforts régionaux et une réactivité accrue face aux évolutions climatiques.
Troisièmement, l’initiative vise à mobiliser des financements dédiés pour des projets concrets de lutte contre les inondations et l’érosion côtière. Cette dimension financière répond à l’un des principaux obstacles rencontrés par les pays en développement dans la mise en œuvre de leurs stratégies d’adaptation climatique.
La diplomatie climatique tunisienne : un appel à la responsabilité mondiale
Le ministre Habib Abid a souligné la dimension diplomatique cruciale de cette initiative, insistant sur la nécessité pour la diplomatie tunisienne de sensibiliser la communauté internationale aux défis climatiques auxquels le pays fait face. Cette approche s’appuie sur un principe de justice climatique, la Tunisie subissant les conséquences du changement climatique sans en être responsable à hauteur de son exposition aux risques.
La stratégie diplomatique tunisienne positionne la diplomatie environnementale et climatique non plus comme une option politique, mais comme une nécessité urgente face aux défis posés par le changement climatique, la perte de biodiversité et la pollution des ressources naturelles. Cette approche nécessite une coordination internationale renforcée et une solidarité mondiale fondée sur les principes de justice, d’équité et de responsabilité commune.
L’objectif affiché consiste à développer une diplomatie environnementale efficace qui accorde la priorité au renforcement de la coopération régionale et internationale, à la défense des intérêts des pays en développement et à la garantie d’une transition environnementale juste.
Conférence sur l’investissement climatique : mobiliser les financements verts
Dans le prolongement de cette dynamique diplomatique, la Tunisie se prépare à organiser une conférence internationale sur l’investissement climatique en septembre prochain, avec le soutien technique et financier du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Cette initiative complémentaire vise à concrétiser les ambitions affichées lors de l’UNOC 3 en mobilisant des ressources financières substantielles.
Tous les ministères tunisiens travaillent actuellement à l’élaboration de leurs propositions de projets visant à faire face aux changements climatiques, qui seront présentées lors de cette conférence. Cette approche gouvernementale coordonnée garantit une cohérence dans la stratégie nationale d’adaptation et d’atténuation climatique.
La conférence internationale vise spécifiquement à mobiliser des fonds pour des projets environnementaux liés à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, à la gestion des déchets, à l’assainissement et à la protection contre l’élévation du niveau de la mer.
Programme national climatique : 10 axes stratégiques pour l’adaptation
Le ministère de l’Environnement tunisien a développé un programme national complet pour faire face au changement climatique, structuré autour de 10 axes stratégiques majeurs. Les priorités les plus importantes concernent la prévention de l’élévation du niveau de la mer et la protection du littoral tunisien, qui s’étend sur plusieurs centaines de kilomètres.
Cette approche programmatique témoigne de la volonté tunisienne de développer une réponse systémique aux défis climatiques, intégrant les dimensions de prévention, d’adaptation et d’atténuation. L’ampleur géographique du littoral tunisien nécessite des interventions coordonnées et des investissements substantiels pour garantir une protection efficace.
Projets de protection côtière : coopération internationale et financement innovant
Un projet majeur de lutte contre l’érosion côtière est actuellement en cours d’exécution, illustrant la capacité de la Tunisie à mobiliser des partenariats internationaux pour financer ses initiatives climatiques. Ce projet, financé par des ressources tunisiennes et développé en coopération avec l’Allemagne et les Pays-Bas, consiste en l’installation de barrières rocheuses contre la submersion marine et en l’alimentation en sable des plages de Tabarka à Médenine.
Cette initiative concrète démontre l’efficacité de la coopération bilatérale dans la mise en œuvre de solutions techniques avancées pour la protection côtière. L’étendue géographique du projet, couvrant l’ensemble du littoral tunisien du nord au sud, illustre l’ampleur des défis à relever et la nécessité d’interventions à grande échelle.
Conversion de dette climatique : un mécanisme financier innovant
La Tunisie a franchi une étape significative lors de la 29ème Conférence des Parties sur le changement climatique (COP 29), qui s’est tenue à Bakou en Azerbaïdjan du 11 au 22 novembre 2024, en obtenant la conversion d’une partie de sa dette publique en investissements climatiques. Ce mécanisme financier innovant permet au pays de réorienter une portion de ses obligations financières vers des projets environnementaux prioritaires.
Dans cette dynamique, un projet de coopération tuniso-italienne sera prochainement lancé pour réhabiliter et moderniser plusieurs stations d’épuration, avec pour objectif la réutilisation de l’eau traitée pour l’irrigation des terrains de golf et d’autres espaces verts. Des négociations sont parallèlement en cours avec d’autres pays partenaires pour étendre ce mécanisme de conversion de dettes en financement climatique.
Projet « La ceinture verte » : développement durable et atténuation climatique
Le ministère de l’Environnement recherche actuellement des financements pour réaliser un nouveau projet de développement ambitieux baptisé « La ceinture verte », axé sur le développement de l’agriculture et des ressources forestières dans six gouvernorats stratégiques : Sfax, Gabès, Kairouan, Sidi Bouzid, Kasserine et Gafsa, s’étendant jusqu’aux frontières algériennes.
Ce projet d’envergure nationale vise à créer une barrière verte capable de contribuer à l’atténuation du changement climatique tout en développant les capacités agricoles et forestières du pays. L’ampleur géographique de cette initiative témoigne de l’ambition tunisienne de développer des solutions d’adaptation climatique à grande échelle.
Partenariat avec le PNUD : renforcement de la coopération internationale
La Représentante Résidente du PNUD en Tunisie, Céline Moyroud, a souligné l’importance cruciale du rôle de la diplomatie environnementale dans la recherche de solutions à la triple crise mondiale relative à la perte de biodiversité, à la pollution et au changement climatique. Cette reconnaissance internationale de l’approche tunisienne valide la pertinence de la stratégie développée par le gouvernement.
La responsable onusienne a encouragé la diplomatie tunisienne à intensifier sa recherche de financements pour mettre en œuvre les projets verts dont le pays a besoin, rappelant que le PNUD continue de soutenir le projet de gestion des déchets engagé par le ministère de l’Environnement. Cette collaboration illustre l’importance des partenariats multilatéraux dans la concrétisation des ambitions climatiques nationales.
Contexte historique : de Stockholm à la diplomatie climatique contemporaine
L’initiative tunisienne s’inscrit dans une tradition diplomatique environnementale qui remonte à la Conférence des Nations Unies sur l’environnement de Stockholm en 1972, événement fondateur qui a marqué un tournant dans la diplomatie environnementale mondiale. Cette conférence historique a élevé les questions environnementales au rang de préoccupations internationales, adoptant une déclaration de principes et un plan d’action pour lutter contre la pollution.
La dynamique s’est renforcée en 1992 avec l’adoption de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), signée à Rio par 154 pays et constituant le fondement des conférences annuelles sur le climat mondial. Cette architecture institutionnelle internationale fournit le cadre dans lequel s’inscrit l’initiative tunisienne contemporaine.